Dessin de presse réalisé dans le cadre d'un article sur la représentation des personnes de couleur dans la publicité. J'ai décidé de posté cet article, car même s'il est très résumé, il peut vous donnez divers pistes de réflexion ou diverses références pour approfondir ce sujet révélateur de quelques points tabou de notre société.
Le fait de poster cet article me permettra également de récolter vos opinions et vos réactions et grâce à cela de le corriger. C'est un avantage de la publication internet, tout est constamment modifiable.
Quelques mois après avoir rédigé cet article, en septembre 2006, je suis tombé sur l'affiche ci-dessous... En ayant étudié ce sujet, elle m'a directement interpelée, car comme vous pourrez le constater après lecture de l'article, elle utilise les mêmes stéréotypes que je pointe dans l'article... Pourquoi utiliser cette images pour un salon de commerçant?! Si vous avez une réponse, elle m'intéresse fortement...
Banania, une campagne publicitaire révélatrice
Introduction
La pub est un médium qui a un poids énorme dans la société contemporaine. A la télévision, elle représente une part non négligeable. Mais également au cinéma, dans les journaux, les boites aux lettres, la rue… Bref, elle est omniprésente ! C’est pour mieux comprendre à quel point elle peut avoir de l’influence sur nous, que j’ai décidé de travailler sur une campagne publicitaire.
Après quelques recherches, j’ai découvert que ce pouvoir d’influence sur le consommateur s’illustre particulièrement bien au travers de toute l’imagerie publicitaire utilisant des personnages de couleurs. Ce sujet étant très vaste j’ai décidé de canaliser mon étude sur la campagne publicitaire de la marque Banania. En effet, cette marque a une très longue histoire du fait de son succès. Il est donc possible de tirer un parallèle avec une vue plus générale de l’histoire de ce sujet. De plus, elle a souvent été la proie de polémique, donc révélatrice des moyens utilisés certaines fois par la pub.
C’est donc un regard critique que je vais jeter sur une certaine utilisation de ce médium.
Qu’est-ce que la pub et donc une campagne publicitaire ?
La publicité est un médium très flexible. Elle s’adapte rapidement aux différentes modes, aux mouvements d’humeur de l’opinion publique, elle flatte l’air du temps. Cela plus moins violemment selon les moyens financiers du commanditaire.
Elle sera donc exécutée pour un commanditaire, qui veut vendre un produit, afin susciter, d’exciter ou de prolonger le désir potentiel de l’acheteur. Pour cela le publicitaire va tenter de moduler, manipuler l’imaginaire du consommateur. Il va donc créer une pub, sorte de petite machinerie graphique braquée sur le cerveau de ceux qui la regardent. Au travers de leurs campagnes, les publicitaires parlent stratégies, ils prédisent l’impact qu’elle aura sur le public cible. Ce langage laisse prédire qu’il y aura immanquablement des victimes dans tel maniement de l’artillerie du symbolisme.
Tout va très vite dans la pub… D’où l’intérêt d’analyser de vieilles campagnes publicitaires. Car avec le recul, il est assez simple d’observer l’aire du temps, puisque à l’époque, la publicité s’y était collée. Les pubs une fois que le produit annoncé n’existe plus, deviennent donc une sorte de fossile graphique, reflet de la société à un endroit et à un moment précis.
Un groupe d’artistes a bien compris cela, il s’agit des créateurs des Supermarchés Ferailles. En effet, dans différents points de ventes à travers la France, ce groupe s’est approprié le principe du supermarché et propose de vendre des produits imaginaires. Le client va donc acheter des boites vides. L’originalité du produit résidera dans l’étiquette. Prenons l’exemple du foie gras de chômeur : L’étiquette est une allégorie du riche mangeant le pauvre. L’artiste à « fossilisé » un conflit, une situation sociale problématique actuelle. Pour ce faire, il a utilisé des symboles contemporains : le chômeur élevé en HLM, et nourrit à la bière et aux pâtes. Il a joué avec les outils et la puissance communicatrice de la pub en se libérant des contraintes due au commanditaire. Ainsi il donne un message personnel qui n’est aucunement lié à des raisons économiques.
Petite histoire de la représentation des noirs dans la pub…
Même si ce sujet est très vaste, je pense qu’il est indispensable de faire un petit résumé de l’histoire de l’imagerie des noirs dans la publicité. Ceci sera utile pour mieux comprendre la raison de la polémique qu’il y a eu autour de Banania.
Les ouvrages de référence que j’ai utilisés pour la rédaction de cet article parlent essentiellement de la période qui va de 1890 à 1990 environ. Cette période est la plus intéressante à analyser, car elle est contemporaine à de grands changements sociaux. Cependant, durant cette période, il y a des moments où les noirs disparaissent de l’imagerie. Ceci est souvent lié à des raisons historiques : De 1890 jusqu’à la première guerre, ils seront fortement représentés. Après, pour différentes raisons, notamment grâce à la bonne réputation des tirailleurs sénégalais, ils auront un moment de répit. Mais dès 1920 jusqu’à la deuxième guerre ils seront à nouveau fortement caricaturé. Ensuite il y a eu un creux jusqu’en 1980. La raison de ce vide est simple : Le noir au grand sourire figé a cessé de rire pour crier à l’indépendance. L’image est bien moins porteuse…
A chacune de ces époques la représentation change un peu, mais les stéréotypes de base, et c’est ce qui est grave, n’ont pas bougé. Essayons de comprendre d’où ils viennent :
Pour commencer, prenons le contenu « commercial » de l’affiche ci-dessous. Elle nous plonge immédiatement dans le commerce sans état d’âme de la traite des Noirs. Elle nous précise le nom des vendeurs, le nom du bateau et de son capitaine, le nombre d’homme, de femmes, de garçons et de fillettes qui seront vendus, l’origine de la « marchandise » et le jour de vente : le 3 août 1769. Cette affiche date donc d’environ un siècle avant la période analysée. Mais en analysant cette affiche, nous remarquons certains stéréotypes qui resteront figés jusqu'à nos jours :
Si l’on compare le personnage de gauche et celui de droite, on remarque que l’ancien sauvage à la musculature développée, porteur d’une sagaie et vêtu d’un pagne primitif, va devenir celui de droite, vêtu maintenant d’un pagne et d’un bandeau de coton, un esclave soumis, solide et travailleur. On y voit donc certains stéréotypes qui resteront ancrés : la puissance instinctuelle, animale, du noir, sa nudité naturelle, sa force physique et sexuelle, mais également son impuissance, car le sujet se voit amputé de sa lance, signe de tout ce à quoi il a été arraché, sa famille, ses traditions, ses rites, son histoire, ses chants, sa musique, sa langue…
Une représentation très présente durant tout le siècle, est l’image du noir avec une grande bouche, un grand sourire et des yeux très ronds. Cette image a été utilisée pour toute sortes de produits : Du cacao au dentifrice en passant par l’huile de vidange…
L’origine de cette représentation est clairement raciste. En effet, entre 1880 et 1890, plusieurs écrits « scientifiques » d’observation décrivent les peuples d’Afrique de manière très peu valorisante. Ont les y décrits comme des êtres violents, sauvages, presque aussi laids que des singes. Au mieux ils y sont décrits comme de grands enfants. Parallèlement à cela, la craniométrie s’évertue à démontrer que de par la forme de leur crane l’ont peut déduire leur infériorité intellectuelle…
Ce racisme paternaliste et bon enfant sera également présent dans toute la publicité représentant des personnes de couleurs.
On peut se demander alors comment et pourquoi vendre un produit au travers d’une imagerie raciste? Et bien simplement par ce que c’est vendeur. Dans le premier cas on joue sur la nudité et la force physique de l’homme, et sur la sensualité de la femme noire. Tous deux seront en quêtes de civilisations. Dans le deuxième cas, on le considère comme un grand enfant, donc on se met à un rang supérieur à lui. Pour l’illustrer, on l’oppose au capitalisme et sa symbolique contraignante (travail, argent, manières de tables). Ainsi au même titre que l’enfant ou que l’animal, il satisfera le moindre de ses désirs quand il veut : S’il a faim, il n’a qu’à tendre le bras pour manger un fruit…
Le cas Banania
Dans la campagne publicitaire de Banania, tous ces points se retrouvent très clairement : Comme dans le premier cas, on retrouve un personnage dépouillé de ses racines. Ceci est symbolisé par la tenue de tirailleur sénégalais, dont je vais décrire le sens plus bas dans le texte. Le slogan « Y’a bon ! » symbolise également cette perte de culture, cette fois par la langue. Ensuite, pour ce qui est du deuxième cas, on voit très clairement le grand sourire et les grands yeux qui se caricatureront de plus en plus avec le temps.
La campagne publicitaire
La tête du tirailleur de Banania ( qui pour l’occasion a été nommé Bamboula ) est une réussite publicitaire dont le succès s’étale sur plus d’un demi-siècle. Créée en 1915 par le peintre De Andreis, ses multiples variantes déclinent sur fond jaune ou sur fond de bananes, le visage familier coiffé d’une chéchia rouge et le pompon bleu, insignes du tirailleur.
Elle sera stylisée par Hervé Morvan en 1957. A l’aube des années 1980, le slogan disparaît, et l’artiste Seikigushi stylise le tirailleur d’une simplicité telle qu’il ne reste que le sourire et les yeux. Pourquoi le tirailleur ?
Premièrement pour des raisons commerciales, les arguments étant que la boisson apporte force et énergie. L’énergie est symbolisée par la couleur jaune qui symbolise la banane. La force sera représentée par l’uniforme du tirailleur sénégalais, la « force noire » venu aider la mère patrie. Ce dernier symbole mérite un développement.
Les premiers tirailleurs sénégalais datent de 1857, mais n’étaient alors pas reconnu comme soldat français. Petit à petit certains témoignent de leur bravoure. Jusqu’à l’aube de la deuxième guerre, où certains français les considèreront en héros.
Pendant la première guerre mondiale, 294 000 maghrébins, 189 000 noirs africains, 49 000 indochinois, 41 000 Malgaches, 23 000 Antillais… sont venus se battre dans les tranchées. N’étant pas habitués au froid et mal entraînés, ils subissent des pertes assez considérables. En effet, un tirailleur sur cinq ne reviendra pas au pays.
Malgré cela, quand on les interroge sur leur condition militaire, ils répondent : « Y’a bon !». C’est de la que le slogan de Banania a été tiré. Derrière cette réponse on peut voir une motivation profonde : Celle d’être considéré comme Français.
A la fin de la première guerre on apprécie fortement les tirailleurs, mais avec une notion de paternalisme. Cette vision paternaliste peut être vue positivement ou négativement, mais il est clair qu’elle induit une notion d’infériorité. Malgré tout, elle a bien nourrit la campagne publicitaire de Banania.
Le mythe du tirailleur perdurera jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale. Finalement la réalité brisera le mythe. En effet, après la deuxième guerre, la France se voit retirer sa souveraineté sur ses colonies. Elle devra les considérer en égaux. En théorie, car dans la pratique les changements ne sont pas vraiment appliqués. Elle imposera même un taux de change spécial qui réduira de moitié les économies des tirailleurs…
Fin du mythe… Mais pas pour Banania qui conserve l’image du tirailleur, alors que d’une manière générale le noir disparaît de l’imagerie publicitaire ! Je pense que les raisons de ce succès sont dues à l’utilisation des stéréotypes cités ci-dessus.
En 1959, la France vote une loi dite de « cristallisation » visant à geler les pensions des tirailleurs. En 2002, une loi a été votée pour rétablir les pensions, mais la question a sans cesse été repoussée et rien n’a changé à ce jour. Dans de telles conditions, on comprends mieux pourquoi certains se révolte contre l’utilisation de ce tirailleur souriant bêtement alors qu’en réalité il se révolte sans être entendu. Cette question n’est d’ailleurs pas seulement contemporaine.
La polémique
Les « rires Banania » ont souvent été la proie de polémique. Dénoncé notamment en 1940 par le Sénégalais Léopold Sedar Senghor dans sa préface au poème « Hosties Noires ». D’après lui, ils soulèvent « l’absence d’une réflexion éthique sur la place d’une image dans un espace public. » Il estime qu’il n’y a pas de changement d’attitude face aux stéréotypes. La dérision de cette image, le fait qu’il a l’air sympa, ne fait, pour Senghor, « qu’entretenir un racisme latent qui pétrifie cyniquement l’altérité loin dans nos sentiments. »
« …Et j’irai déchirer les rires Banania sur tous les murs de France. »
(L.S. Shengor)
Léopold Sedar Senghor a été président du Sénégal. Lui, Aimé Césaire et d’autres poètes ont créé un mouvement s’appelant la Négritude. Ce mouvement s’est battu pour la volonté d’une reconnaissance de l’identité négro-africaine avant les indépendances. Tous ont renié le sourire Banania….
Conclusion
Pour conclure, je vais citer une des recommandations émises dans les années 70, en France, par le Bureau de Vérification de la Publicité :
« La publicité doit éviter avec le plus grand soin de faire appel, même indirectement, aux relents de sectarisme ou de racisme qui peuvent exister dans certaines couches de la population. Toute allusion, même humoristique, à une quelconque idée péjorative ou d’infériorité liée à l’appartenance à une ethnie ou à une religion doit être bannie. L’expression de stéréotypes évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe ethnique ou religieux doit être maniée avec la plus grande délicatesse… »
Quand j’ai appris que Banania a ressortit sont produits en 2003, avec les même stéréotypes… Je me suis posé des questions. Même si le slogan : « Y’a bon Banania ! » a été abandonné après quelque mois de procès contre la firme Nutrimane qui a racheté la marque, il n’en reste pas moins l’essentiel du stéréotype présent sur la boîte. S’il est vrai que la plupart des jeunes qui déjeuneront avec du Banania n’auront pas implicitement une image péjorative de l’Africain, il en sera de toutes manières certaines personnes venant de certains milieux qui garderont ces stéréotypes.
De plus, je pense, mais je vais peut-être trop loin, que le fait que la marque ressorte juste après qu’il y ai des polémiques autour de la loi de cristallisation n’est pas forcément innocente. L’utilisation de ce tirailleur « fossilisé » peut masquer la réalité de la situation, afin qu’elle ne dégénère pas. En d’autre terme, il sert à endormir le consommateur.
Donc pourquoi jouer avec le feu et ne pas remplacer le tailleur ? Mis à part les raisons quelque peu paranoïaque citée ci-dessus, je ne vois que des raisons commerciales liées à la frénésie qu’il y a autour des produits dérivés ( emballages. affiches, …) que je ne comprend d’ailleurs absolument pas. Il est possible que cela représente une part de marché beaucoup trop juteuse pour être abandonnées…
En résumé, certaines personnes, soit pour leur porte-feuilles ou pour leur splendide collection de produits Banania, soit pour masquer une réalité honteuse, ne vont avoir aucuns remords à générer des préjugés contre une communauté qui s’en plaint, tout en se permettant de contourner la loi pour y arriver. Je qualifie cela d’irrespect total. Surtout lorsque la communauté en question souffre encore d’actes irréfléchis commis par l’Occident colonisateur par le passé et durant une très longues périodes…
L’écriture n’étant pas mon fort, j’ai voulu illustrer mon propos face à cette polémique par un dessin. Même si quelques personnes vont peut-être y voir un propos raciste, mon but n’a pas été de faire à l’un ce qu’il a fait à l’autre. De plus étant moi-même Suisse je n’y vois pas l’intérêt… Mon intention est de faire ressentir au Suisse ce qu’un Africain pourrait ressentir face à une boite de Banania. Pour cela j’ai pris diverses références helvétiques, plus ou moins similaire, que j’ai assemblé afin de créer une sorte de dissonances désagréables à la petite fibre patriotique qu’il y a en chacun de nous. J’y ai glissé un trait d’humour pour rendre la chose moins réelle… Références
Bibliographie
Banania, histoire d’une passion française, Jean Garrigues, édition Du May, 1991.
Négripub, l’image des noirs dans la publicité, Raymond Bachollet, édition Somogy, 1987.
Négripub, 100 ans d’image des noires dans la publicité, Université de Fribourg, 1988.
Filmographie
Indigènes, Rachid Bouchareb, 2006